Aucune traduction en français de ce terme occitan n’est satisfaisante. Sa signification évoque tout à la fois l’habileté, l’inventivité et le savoir-faire suscités par le désir de vivre mieux.

Le « biaïs » et les Monts de Lacaune :

J’ai redécouvert les Monts de Lacaune, ces belles montagnes de ma jeunesse, où apiculteur je portais les ruches pour la transhumance de fin de printemps.

C’est grâce à Max Alliès – entre autres Maire de Castanet le Haut – que j’ai pu rencontrer Robert Pistre, créateur de la Gazette des Monts de Lacaune et Isabelle de Saint Hilary, Directrice de la Communauté de Communes. En Octobre, nous avons organisé ensemble un voyage de presse.

Et c’est ainsi que j’ai redécouvert ce qu’en patois nous appelons le « biaïs ». Je dis redécouvert car mes grands-parents et parents en étaient pétris eux aussi. Eux, des paysans, je les revois en train de penser et réaliser la remorque pour le foin. Ils l’ont adaptée aux chemins, aux rues du village et au tout premier tracteur… et bien sûr pour répondre à un besoin.

Il me semble que ce qui est bon pour la personne, la communauté familiale, l’est aussi pour la communauté régionale, nationale, voire internationale. Dans une prochaine lettre je donnerai quelques exemples et pistes de réflexion.

En attendant, je vous laisse le soin de découvrir ce que dit Robert Pistre sur ce biais :

Notre région isolée, au climat rude en hiver et au sol pauvre a généré une race d’hommes travailleurs et débrouillards. C’était la condition pour survivre. Il ne suffisait pas de travailler sans arrêt, il fallait aussi être très économe et inventif. Bref, il fallait faire preuve de biais (phonétiquement biaïs).

Le mot de biais, qui était nécessaire dans tout ce qu’on faisait, n’a pas son équivalent en français. Il recouvre plusieurs qualités : l’ingéniosité, la débrouillardise, l’adresse, l’astuce, l’inventivité, l’expérience, le savoir-faire, le bon sens. Louis Roques de Nages m’a indiqué qu’enfant on lui disait : « Vas veire Ernest qu’a fòrça de biais. » En effet « Ernest Petit était l’homme qui avait du biais parce qu’il savait tout faire, son métier de charron, la charcuterie, la fenaison, la batteuse de Bascoul, mais aussi n’importe quel bricolage pour vous dépanner.»

Dans le même sens, Robert Calas rappelle : « Quelquefois en passant, je donnais un coup de main à Ginieis de Villelongue; lui c’était un « biaïssut ». Il me disait : Robert, avant d’attaquer le travail il faut le regarder, bien réfléchir à la façon de le réaliser en forçant le moins possible… Avec lui, la tâche devenait plus facile et surtout moins pénible.

Toute ma vie, j’ai appliqué cette méthode. Merci Louis ! »

Valérie Sèbe de Caudelle résumait bien tout ça en disant : Lo còp d’avança val un òme ! Pierre Demay m’a rappelé une expression pour qualifier ceux qui étaient peu doués : Es biaissut coma un ròsse !

Le Centre de Recherches du Patrimoine de Rieumontagné (CRPR) a déjà publié des ouvrages où certains savoirs de nos devanciers ont été décrits : Chasse, pêche et braconnage d’Emile Farenc ; Le débutant de Lucien Aguié ; les Saveurs du patrimoine ; la Nature sauvage, etc. Le travail de collecte réalisé ici vise à compléter ce qui a été fait pour mieux garder la mémoire du savoir-faire de nos anciens dans les rudes conditions de l’époque avec les moyens d’alors. Le recueil des proverbes est aussi un excellent condensé de cette sagesse populaire.

Bien entendu, les recettes indiquées ne sont pas garanties. Nous avons voulu faire œuvre de mémoire collective et pas un livre de préconisations.

J’ai eu la chance d’être initié aux découvertes de la science moderne, qui m’ont émerveillé sur le génie humain. Je suis tout aussi ébloui intellectuellement par tout ce savoir accumulé par nos anciens et qu’on désigne sous le nom de biais. J’ai été heureux que mon action dans la vie se soit située au confluent de ces deux approches.

Robert Pistre

http://rieumontagne.free.fr/crprsite/
https://gazettelacaune.fr/

 

Le « biaïs » et le monde du travail :

En moyenne au troisième trimestre 2022, en France métropolitaine, le nombre de personnes inscrites à Pôle Emploi et tenues de rechercher un emploi (catégories A, B, C) s’établit à 5 153 000. Parmi elles, 2 946 100 personnes sont sans emploi (catégorie A) et 2 206 900 exercent une activité réduite (catégories B, C). Source Pôle Emploi

Face à ces chiffres exorbitants de personnes tenues à rechercher un emploi, il est vraiment étonnant que par ailleurs certains métiers dits en tension peinent à recruter.

On peut comprendre que des personnes qui ont une formation dans tel métier ne souhaitent pas en faire un autre dit en tension pour plusieurs raisons :  appétences, compétences, salaires insuffisants…

Le biaïs voudrait que l’on fasse coïncider la demande avec l’offre, et là je n’ai pas les compétences pour répondre. Mais on peut imaginer : formation réactive à ces métiers en tension, attractivité de salaire et de condition de travail… sans compter que le biaïs anticipe à partir du présent, il dessine l’avenir.

Par ailleurs dans le nord de l’Hérault on m’a signalé que des familles sur trois générations n’avaient jamais participé au bien commun par le travail mais vivaient d’aide et de débrouille. Là l’inventivité devrait permettre d’éduquer au sens du travail comme service de la nation et montrer que si le travail est pénible il est aussi source d’épanouissement. L’ingéniosité nous offrirait des solutions concrètes pour faire la passerelle entre l’offre et la demande.

S’il est normal et vital d’accompagner les personnes lors de licenciements, de changements d’emploi ou autre, le biaïs devrait permettre de limiter l’assistanat et favoriser le plein emploi. Il a le courage de changer ce qui doit être changé et il s’y met d’autant plus qu’il sait qu’un problème qui n’est pas résolu est une bombe à retardement.

La nation y gagne, il vaut mieux que les personnes travaillent, elles font rentrer des charges sociales et font diminuer celles qui servent à payer les demandeurs d’emploi. Encore faut-il que le travail soit plus rémunérateur que l’assistanat. Ceux qui ont choisi l’assistanat ont bien compris ce qu’est le biaïs en leur faveur… Même si dévoyés par l’égoïsme et l’individualisme.

Le biaïs, s’il admet des droits pour les personnes, demande des devoirs aussi. Il nous délivre de l’idéologie car il prend en compte le réel, la vérité anthropologique et trouve le bon compromis, sans compromission.

Alors cogitons et agissons.